L'échappée belle

[00:00:14.540] - Laurent

Tu as eu une journée trop longue. Il y a eu trop de choses en même temps. Tu as passé ton temps à courir après ton temps, à rattraper ton retard, à retrouver ton souffle. Tu n'as pas assez dormi, juste pas assez. Il te manque une demi-heure, peut-être une heure de sommeil. Il te manque une barre d'énergie pour pouvoir traverser la journée avec sérénité. Alors, tu t'es évadé. Tu t'es éclipsé et tu es parti en direction de la forêt. Tes pas résonnent sur le goudron. Puis, ce son passe en sourdine alors que tu arrives sur la terre battue. C'est la fin de l'automne et la fin de l'après-midi. Il faut encore survivre quelques heures jusqu'au moment où tu pourras dormir. Il fait frais, mais pas glacé, il te pique légèrement, ils te maintient lucide. Le sol est jonché de feuilles mortes et tu traînes les pieds par lassitude. Puis, tu t'amuses à mélanger ces feuilles et ces couleurs. Un peu de jaune, d'orange, un soupçon de brun. Soudain, une ombre te couvre. Tu t'arrêtes et tu lèves les yeux. [00:01:45.560] Tu es au cœur de la forêt. Il y a un plafond de feuillage au-dessus de toi, comme une cathédrale naturelle.

[00:01:56.000] - Laurent

Tu es seul, alors tu écartes les bras et tu esquisses un pas de côté, puis un autre. Debout sur un pied, tu te traces des courbes avec la pointe de ta chaussure. Les feuilles bruissent délicatement. Tu tournes sur toi-même, sur les notes d'une musique qui te trotte dans la tête. Pour quelques minutes, pour une fraction d'éternité, tu danses comme si tu étais seul au monde. Tu tournoies, tu ris, tu cours, tu sautilles. Hors d'haleine, tu t'arrêtes et tu fais ta révérence. Tu entends les applaudissements dans ta tête. Ivre de fierté, tu souris et tu déposes un baiser sur le bout de tes doigts. Et d'un souffle léger, tu l'envoies vers un public imaginaire. Ils sont venus pour toi. Et toi, tu es venu dans cette forêt pour te retrouver, pour retrouver le silence et le calme. Tu reprends ton souffle et ta marche. La lumière a encore baissé, comme pour te rappeler que l'automne n'est pas éternel et que tu entres progressivement dans le tunnel de l'hiver, vers l'obscurité et le froid. [00:03:26.060] Tu t'inquiètes car à quelque part, tu fonctionnes à l'énergie du soleil. Mais pour l'instant, tu profites de ces derniers rayons en te plaçant aux endroits où le soleil perce à travers les feuillages.

[00:03:38.940] - Laurent

La lumière se réchauffe prenant des teintes chaudes. C'est l'heure magique. Les dernières minutes où le jour prend congé en beauté. Tu regardes plus loin sur le chemin vers le coucher du soleil. Tu aperçois un silhouette à quatre pattes, les oreilles pointues. Un berger allemand trottine dans ta direction. Il s'approche et s'assied devant toi. Il te regarde, il penche la tête sur le côté comme s'il était intrigué. Il te fixe du regard comme s'il voulait lire dans tes pensées. Il cligne des yeux. Il t'attend. Sur ta droite, tu entends un craquement et une voix rauque qui n'a pas l'habitude des longs discours. "Ne vous inquiétez pas, il ne fait pas de mal. Je crois qu'il aime plus les humains que moi." C'est un garde-forestier qui semble âgé, quelque part entre la sagesse et la folie. Il porte un chapeau usé et une veste en cuir qui vient d'une autre époque, celle où les habits étaient éternels et traversait le temps. Tu ne sais pas quoi répondre. Alors tu dis un simple merci. Rassuré, tu caresses le chien sur sa tête et son échine. Il semble satisfait. Il se couche, puis se roule sur le dos.

[00:05:07.620] - Laurent

Il prend aussi sa pause. Pour quelques secondes, il sort de son rôle. Il n'est plus berger allemand. Il joue et saute dans les feuilles. Impatient, le garde forestier s'excuse: "Bon, je dois y aller. J'ai encore du boulot." Tu te demandes ce qu'il peut bien avoir à faire à la tombe de la nuit. "Bon retour chez vous", dit-il en se retournant. Tu les regardes s'éloigner, puis tu soupires. Au loin, les lampes à l'air de la ville viennent de s'allumer. L'heure d'hiver. Encore une décision absurde. À quoi ça sert ? Que ce soit le soir ou le matin, la nuit gagne toujours du terrain. Dans ton sac, ton téléphone sonne avec insistance. Le monde réel t'a retrouvé. Tu l'ignores un moment avant de décrocher. [00:06:39.380] "T'étais où ? Tu rentres bientôt ?" Demande une voix mi-inquiète, mi-agacée. Tu réponds que oui, que tu t'es trompé de chemin, que tu arrives bientôt. "Oui, pas de problème. Moi aussi." Tu ne peux pas fuir indéfiniment ton quotidien. Tu es attendu et tu dois reprendre ton rôle dans la société. Mais tu sais à présent que ponctuellement, tu peux t'évader pour quelques minutes, voire plus longtemps. Le temps qu'il te faut pour te retrouver, pour souffler et respirer.

[00:07:31.080] - Laurent

Tu peux t'accorder cette parenthèse à n'importe quel moment, que ce soit en vrai ou dans ta tête. Tout n'est pas perdu, tout n'est pas bouché. Il y a cette fissure dans le quotidien qui te fait savoir qu'il y a de la lumière au-delà de la grisaille. Prends soin de toi. Et surtout, autorise-toi à vivre pleinement, sans retenue et sans peur. Donne-toi la permission d'être toi-même. C'est le plus beau cadeau que tu puisses t'offrir.