Dans cet épisode :
"C'est difficile de trouver l'équilibre, justement, c'est vrai, parce qu'il faut vraiment arriver à lâcher prise totalement, à ne pas être submergée par son trac. Vraiment trouver une détente pour pouvoir savourer aussi le concert."
Jeanne Gollut n'est pas une musicienne "classique". Son parcours n'a pas été évident, entre autres, parce qu'elle a choisi un instrument qui n'est pas commun. Dans un sens, c'est son instrument, la flûte de pan qui a choisi Jeanne Gollut et qui l'a guidée sur une voie inhabituelle, peu explorée, mais fascinante.
Liens et références en rapport avec l'épisode :
Site de Jeanne Gollut : https://www.jeannegollut.ch/
Site de Tangora Trio, une formation parmi d'autres auxquelles Jeanne Gollut participe : https://www.tangoratrio.ch/
Chaîne Youtube de Jeanne Gollut : https://www.youtube.com/@jeannegollut
Site de Michel Tirabosco, ancien professeur de Jeanne Gollut : https://www.micheltirabosco.ch/
Transcription de l'épisode :
Retrouve la transcription complète de l'épisode ainsi que toutes les références sur puissantbazar.ch : https://puissantbazar.ch/au-coeur-de-la-creation/
Production :
Présentation, rédaction, enregistrement et site internet : Laurent Mäusli
Crédits musiques :
0:00 Joc din Oas de Jeanne Gollut de l'album "Origines"
0:23 Dawn de Nicolas Guerrero
9:20 Danse populaires roumaines 3 de Jeanne Gollut et Alessio Nebiolo de l'album "Origines"
23:06 Danse populaires roumaines 2 de Jeanne Gollut et Alessio Nebiolo de l'album "Origines"
30:22 Danse espagnole N°2, Oriental de Jeanne Gollut et Alessio Nebiolo de l'album "Origines"
42:40 Danse populaires roumaines 5 de Jeanne Gollut et Alessio Nebiolo de l'album "Origines"
50:16 Odyssey d'Edward Abela
Musiques libres de droits :
Puissant Bazar ne serait pas tout à fait pareil sans musique. Pour créer l'ambiance que j'ai en tête je plonge et pioche dans le vaste catalogue des sources suivantes :
- Audiio (lien affilié) : https://ref.audiio.com/th53nw5b
- Uppbeat : https://uppbeat.io/
***
Soutiens l'émission :
J'adore faire des podcasts, mais cela demande des ressources importantes en temps et en argent. Si mon travail a changé ta vie ou juste ta journée, si tu as souri en entendant mes péripéties, si tu t'es dit : "Ah oui, je n'y avais pas pensé !", si je t'ai fait réfléchir... eh bien tu peux me soutenir par le biais d'une contribution financière allant de modeste à raisonnable. Chaque franc m'aide à payer les frais et à assurer le fonctionnement de Puissant Bazar Tous les détails se trouvent sur cette page : https://puissantbazar.ch/soutenir/
Découvre ma boîte à outils :
Il faut une sacrée panoplie pour produire des podcasts. Découvre la liste pas encore tout à fait exhaustive de tout le matériel, les applications et autres ressources que j'utilise en allant sur cette page : https://puissantbazar.ch/ressources/
Partage l'émission :
Aide d'autres personnes à découvrir Au Coeur de la création sur leur plate-forme de podcast/streaming favorite en partageant ce lien : https://puissantbazar.ch/au-coeur-de-la-creation/
Ecoute les autres émissions de Puissant Bazar :
- Puissante Panoplie : https://puissantbazar.ch/puissante-panoplie/
- Puissant Chantier : https://puissantbazar.ch/puissant-chantier/
Abonne-toi à ma newsletter :
Dès que je publie un nouvel épisode de mon réseau Puissant Bazar, je t'envoie un message pour te prévenir et partager avec toi mes réflexions autour du sujet de l'épisode du jour. Rassure-toi, c'est court et gratuit. Abonne-toi en suivant ce lien : https://puissantbazar.ch/newsletter/
Restons en contact :
- Email : laurent@puissantbazar.ch
- Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCaYY0xPMhIaowilW9yDVv1Q
- Facebook : https://www.facebook.com/puissantbazar
- Instagram : https://www.instagram.com/pssbazar/
- Twitter : https://twitter.com/puissantbazar
Jeanne Gollut 00:00:30.070
J'avais peut être un peu plus d'appréhension dans mes premières années de concert. Je regardais peut être moins les gens. Mais là, vraiment, le fait de regarder les gens et de m'imprégner de l'ambiance de la salle, ça m'aide à bien jouer. Ça m'aide à avoir envie de leur donner le maximum et de faire un beau concert pour eux, pour moi, pour mes collègues. Vraiment. Et c'est un atout d'avoir des gens.
Laurent Mäusli 00:01:04.450
Hello, c'est Laurent. Le souffle et la voix que tu viens d'entendre appartiennent à la talentueuse Jeanne Gollut. Depuis une quinzaine d'années, j'ai eu la chance d'assister à plusieurs de ses concerts et ce qui m'a frappé, c'est sa générosité. Au delà de son talent, elle a surtout cette générosité dans l'effort. Elle n'est pas dans l'improvisation, mais dans la préparation. Elle est aussi généreuse avec son public. Elle donne de son temps et de sa personne, parce que la musique est un art qui se partage. Bienvenue au cœur de la création. Jeanne Gollut a déjà un beau parcours et j'étais heureux d'apprendre qu'elle avait eu l'opportunité de participer à la Fête des Vignerons de 2019 en tant que soliste. Cet événement a lieu environ tous les 20 ans. Je ne suis pas spécialement attiré par les grands rassemblements et j'ai principalement observé cette célébration de l'extérieur.
Laurent Mäusli 00:02:22.120
Par contre, j'étais curieux de savoir comment elle avait vécu la Fête des Vignerons de l'Intérieur.
Jeanne Gollut 00:02:28.770
Oui, c'était un événement vraiment très riche. J'avais envie d'y participer. Et puis, les choses ont fait que les compositeurs ont écrit pour ma flûte de pans et pour moi. Donc voilà, j'ai été intégrée au spectacle. J'ai adoré cet événement, déjà par sa grandeur. C'est vrai que ça m'était jamais arrivé de jouer quasiment comme ça dans un stade. Il y avait 20 ou 25 '000 personnes, je ne me rappelle plus exactement, par représentation, donc c'était vraiment énorme. Et puis, au niveau de la collaboration avec tous les autres acteurs, il y avait les danseurs, les comédiens, des figurants, des amateurs et des professionnels, donc c'était très intéressant. Et j'ai appris beaucoup de choses aussi sur la façon de gérer un spectacle, un très grand spectacle comme ça. Par exemple, les clics de départ, quand est ce qu'on entre sur scène, quand est ce qu'on sort, comment... Voilà, comment tout s'organise. Et c'était vraiment grisant, je dois dire. Après, au niveau musical, c'était aussi une découverte parce qu'on a beaucoup de contraintes. C'est vrai que quand je suis sur scène, d'habitude, je suis très libre parce que je joue en petit groupe et en live, tandis que là, la taille de l'événement fait que tout est hyper programmé à l'avance.
Jeanne Gollut 00:03:50.310
On ne peut pas se permettre de ralentir quelque part dans la musique ou de jouer tout d'un coup quelque chose de plus léger que d'habitude, parce qu'il y a les danseurs, ils doivent avoir leurs repères. Donc c'est vrai que de ce côté là, il fallait un peu s'adapter et se dire qu'il fallait amener sa touche personnelle chaque soir, mais sans trop changer non plus, pour ne pas déstabiliser les autres.
Laurent Mäusli 00:04:14.440
Est-ce qu'on est venu te chercher et puis on t'a dit voilà, c'est ça la composition. Est-ce que tu as eu ton mot à dire par rapport à ça ?
Jeanne Gollut 00:04:22.460
Alors oui, on est venu me chercher. Je connaissais les compositeurs et je leur avais glissé dans l'oreille. Voilà, ça serait chouette d'écrire pour la flûte de pan. Je pense que ça leur a fait tilt. Après, ils ont écrit pour l'instrument. Après, effectivement, les partitions étaient écrites. J'ai pu tout à fait discuter avec eux et puis on a pu changer ensemble quelques phrases ou quelques notes lorsque ce n'était pas idéal pour l'instrument par rapport à, par exemple, la hauteur ou des choses comme ça. Mais bon, la musique était déjà quand même écrite et par exemple, elle était déjà calibrée en termes de minutes. Donc, les compositeurs ne pouvaient pas non plus me dire « Oui, pas de souci, on change, on change tout. » Donc, ils avaient aussi, eux, des contraintes et on a pu un petit peu adapter dans une certaine mesure.
Laurent Mäusli 00:05:10.330
Moi, ce qui me travaille, c'est je m'imagine le premier moment où tu es entrée, c'est que tu es sur scène et que tu as vu l'arène qui était pleine à craquer. Est-ce que tu as eu le temps de voir ça ou bien est ce que tu étais vraiment à fond dans ta partie ?
Jeanne Gollut 00:05:25.870
Oui, c'était un superbe moment. C'est vrai qu'il y a une sorte d'adrénaline que j'avais jamais eu à ce point là, parce que c'était l'inconnu pour moi. Après, on avait quand même déjà répété tous ensemble et puis même que les figurants, c'était déjà 5'000 personnes. Donc, au final, j'avais déjà cette habitude là de jouer pour beaucoup de gens. Je connaissais aussi bien mes parties, donc j'étais assez confiante. Mais c'est vrai que la première représentation a été un événement que j'oublierai jamais. Et il y a cette impression un petit peu de grandeur et en même temps, c'est vrai que le fait qu'il y ait autant de monde fait qu'on sent quand même une distance. Je me sentais en même temps avec beaucoup de gens et en même temps seule sur ma scène toute petite au milieu de cette immense arène, et presque comme si j'étais toute seule, parce que les gens étaient tellement loin que je voyais pas leurs visages, je voyais pas leurs yeux et ça a quelque chose de différent. C'est vrai que j'ai pas l'habitude de ça en concert, parce que je joue dans des salles qui sont quand même à taille humaine et je vois en tout cas les gens des premiers rangs, je les vois bien.
Jeanne Gollut 00:06:34.730
Je vois aussi leurs visages, leurs sourires ou la façon dont ils écoutent et ça me donne un retour, ça me nourrit aussi. Et là, c'est vrai que le public était assez loin, d'autant plus quand c'était des représentations de nuit où on voit rien ou le jour, parce qu'on a le soleil dans les yeux aussi. Et c'est vrai que cet événement aussi en extérieur a beaucoup de nouveautés pour des musiciens. On a même joué une fois sous la pluie, parce qu'au milieu du morceau, il a commencé à pleuvoir et le temps que la décision soit prise d'arrêter le spectacle, tout le monde a continué vaillamment jusqu'à ce que le chef nous dise dans l'oreillette « Stop, on arrête. » Donc on a joué sous la pluie, ce qui est assez inédit.
Laurent Mäusli 00:07:18.060
Tu dis que c'est une nouveauté aussi en termes d'acoustique ?
Jeanne Gollut 00:07:21.610
J'avais déjà joué en extérieur, mais là, la taille de l'arène a été vraiment... Il y a eu des défis je pense déjà pour les sonorisateurs, des défis énormes qu'ils ont relevé super bien. Parce que c'est vrai qu'il y avait des musiciens partout, de tous les côtés de l'arène et il fallait sonoriser ça pour qu'on entende bien les musiciens de tous les côtés, alors que le public était aussi de tous les côtés. Donc c'est vrai que c'était assez compliqué. Et puis, pour les musiciens, c'était compliqué aussi parce qu' on avait une oreillette avec un retour, donc on entendait ce qu'on jouait. Il fallait vraiment se concentrer là dessus parce que ce qu'on entendait venir des hauts parleurs, c'était en retard. Le son arrivait plus tard, donc il ne fallait vraiment pas s'écouter en vrai, mais il fallait rester concentré sur l'oreillette. On avait aussi un clic pour vraiment garder le tempo, un métronome. Ça, c'est aussi une contrainte dont je n'ai pas l'habitude en musique classique. C'est vrai que je n'ai pas le métronome pour jouer d'habitude et ça n'a été pas facile pour moi de trouver la liberté musicale face à ce métronome. Mais au bout de quelques représentations, c'était bon, il était intégré.
Laurent Mäusli 00:08:32.370
De participer à un truc aussi énorme, est ce que tu l'as vécu comme une sorte d'accomplissement ou c'était une sorte de progression logique, finalement, dans ton parcours ?
Jeanne Gollut 00:08:42.360
Je dirais pas que c'était un accomplissement, parce qu'un accomplissement, c'est vraiment comme un final, je pense. C'est vraiment ce pourquoi on travaille pendant longtemps et puis c'est notre idéal. Là, c'est plutôt une expérience, parce que j'ai plein d'autres projets, il y a plein d'autres choses que j'aime faire. Et comme j'ai expliqué, musicalement, il y avait certaines limites quand même à cause de cette taille. Donc, je dirais pas un accomplissement, mais c'était vraiment un rêve pendant trois semaines. On était sur une autre planète et j'ai adoré préparer tout ça et collaborer avec tous ces gens. Je pense que j'ai appris énormément et je suis heureuse aussi parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont découvert la flûte de pan grâce à cet événement. Je pense que c'est une chance aussi pour mon instrument.
Laurent Mäusli 00:09:45.950
Alors, on va à présent embarquer dans la machine à voyager dans le temps pour te rejoindre à l'âge de sept ans. Donc, tu es issu d'une famille de musiciens et puis la musique a toujours fait partie de votre quotidien. Donc, j'imagine que pour tes parents, c'était clair que tu devais faire de la musique.
Jeanne Gollut 00:10:05.250
Oui, mes parents étaient musiciens. Mon papa, musicien amateur, ma maman, musicienne professionnelle, mais ils m'ont jamais forcé. C'est vrai qu' ils m'ont laissé le choix, mais moi, j'avais très envie de jouer d'un instrument aussi. Et puis, je suis née avec un handicap. J'ai que la main gauche et c'est vrai qu'il y a peu d'instruments qui sont jouables d'une main. C'est vrai qu'on a réfléchi un petit peu. Et quand mes parents ont pensé à la flûte de Pan, j'ai vraiment flashé sur cet instrument qui me convenait vraiment bien puisqu'on n'a pas besoin des doigts pour jouer. Et ça a été tout de suite un retour équilibré parce que la flûte m'a bien répondu aussi. On s'est bien entendues toutes les deux. J'ai réussi à sortir des sons tout de suite. Je me sentais à l'aise avec l'instrument. J'aimais le son, j'aimais sa forme, sa matière. J'ai l'habitude de dire que c'est presque une chance, finalement, ce handicap qui m'a permis une découverte, que peut être cet instrument n'aurait pas traversé ma vie, n'aurait pas rejoint ma vie si je n'étais pas qui avait eu deux mains et que j'avais peut être choisi un autre instrument un peu moins étonnant.
Laurent Mäusli 00:11:20.560
Parce que finalement, ce n'est pas l'instrument le plus évident quand on parle des instruments les plus populaires.
Jeanne Gollut 00:11:27.620
Non, tout à fait, parce que c'est un instrument qui a été longtemps oublié dans la musique classique ou savante. C'est un instrument qui est resté vraiment dans la musique populaire en Amérique du Sud et en Europe de l'Est, surtout en Roumanie. Il n'y a pas de partition pour la flûte de pan. Enfin, il commence à y en avoir, mais c'est vrai qu'il y en a peu. Et ce qui existe maintenant, c'est de la musique contemporaine. Et c'est vrai que les gens le connaissent peu. Il est peu enseigné, donc il faut aussi trouver un professeur lorsqu'on choisit cet instrument. Et puis, pour moi, le défi, on en parlera peut être aussi après, mais c'est que quand j'ai voulu faire mon métier, ça a été de trouver la voie qu'il fallait suivre pour pouvoir faire des études et pouvoir avoir un papier, et enseigner et être musicienne professionnelle par la suite. Mais je ne regrette pas ce parcours. En même temps, c'est un instrument qui est rare, donc ça lui donne quelque chose de spécial. Le chemin est peut être plus compliqué, mais on a aussi plein d'avantages avec cette flûte de pan.
Laurent Mäusli 00:12:35.770
Mais ce qui est fou, c'est que c'est ton instrument, celui que tu as, c'est un instrument unique dans le sens qu'il a été fait sur mesure pour toi. À la base, tu l'as dit, c'est une flûte roumaine, mais elle a été adaptée pour pouvoir avoir un registre plus étendu, pour pouvoir plus aller au delà de simplement du folklore. Mais simplement pour expliquer, pour qu'on puisse imaginer l'instrument. C'est plusieurs tubes de bambou avec une seule rangée de tubes. Et puis ensuite, pour jouer les notes, tu joues sur l'inclinaison des tubes. C'est bien ça ?
Jeanne Gollut 00:13:08.300
Voilà, exactement. Le bambou, c'est la tradition. Les flûtes de pan sont traditionnellement en bambou. Maintenant, on en construit dans plusieurs matières, en bois et en plastique aussi. On essaie de moderniser aussi la flûte. Et puis effectivement, c'est des tubes qui sont collés les uns aux autres. Une rangée, ça, c'est pour la flûte de pan romaine. Et effectivement, l'inclinaison des tubes, l'inclinaison dans laquelle je joue va modifier la hauteur. Donc je vais créer les demi tons comme ça, les dièses, les bémols. Pour les gens qui connaîtraient moins la musique, c'est les touches noires du piano que je crée sur des tubes déjà existants. Ça fait une petite gymnastique de la tête comme ça. Et en Roumanie, les flûtes de pan descendent souvent jusqu'au sol grave ou ré grave. Mais pour les besoins de la musique classique, j'ai suivi les conseils de mon professeur Michel Tirabosco et j'ai demandé à ce que ma flûte de pan soit construite avec encore le tube grave du dos, ce qui me permet vraiment, par exemple, de jouer toutes les parties de la mission pour la flûte traversière.
Laurent Mäusli 00:14:17.030
Du moment que tu as un instrument qui est unique, comment est-ce qu'on fait pour apprendre ou bien pour enseigner ? Parce que vu que chaque personne a son instrument fait sur mesure.
Jeanne Gollut 00:14:27.040
Oui, c'est vrai. Puis toutes les flûtes sont différentes parce que tous les bois sont différents. sont différents. Les facteurs de flûte aussi ont tous leur façon de construire. Donc, il faut s'adapter. Mais je pense que c'est un beau travail humain de s'adapter vraiment à l'instrument et à la personne aussi. Parce qu'en tant qu'enseignante, moi, j'essaie vraiment de coller à mes élèves, de voir qu'est ce qui est le mieux pour eux. D'ailleurs, de leur trouver la bonne flûte, ça ne s'est pas non plus garanti au début. Des fois, une flûte qui ira bien à un élève ou à un musicien ira pas à tel ou tel autre musicien. Donc voilà, il faut trouver la bonne paire. Et puis moi aussi, j'ai dû trouver mes professeurs. Ils ne couraient pas les rues, mais j'ai eu beaucoup de chance. J'ai commencé avec Alexandre Cellier, qui connaissait très bien la musique roumaine. Donc j'ai commencé avec ça, avec de la musique traditionnelle. J'ai vraiment commencé avec les origines, on peut dire, de mon instrument. Et après, j'ai choisi de suivre les cours de Michel Tirabosco, qui est un merveilleux flûtiste de pan à Genève, qui a apporté beaucoup à l'instrument, justement, sur le plan classique.
Jeanne Gollut 00:15:33.120
Lui même avait travaillé avec un professeur de flûte traversière parce qu'il n'y avait pas de professeur de flûte de pan. Et après, pour étudier, j'ai pu étudier au Conservatoire, à la Haute École maintenant de Lausanne, et y faire toutes les branches théoriques. Et j'ai suivi la partie pratique avec Michel Tirabosco, justement.
Laurent Mäusli 00:15:53.920
À quel moment dans ton parcours est ce que tu t'es dit« C'est ça, c'est la flûte, c'est la musique que j'ai envie de faire. » Est-ce que c'est venu plus tard ou bien c'est venu naturellement. Et puis tu t'es dit « On verra bien ce que ça donne. » C'était un petit peu rock'n'roll, les cours à Lausanne, la pratique à Genève.
Jeanne Gollut 00:16:08.470
Oui, je crois que c'est une question que je me pose encore maintenant, de savoir si je veux faire mon métier avec la musique. Mais je crois que tout d'un coup, c'est venu évident parce que c'est ce que j'aime faire. Et après le gymnase, je me destinais à aller à l'université, un petit peu comme tout le monde. Je n'avais pas envisagé de pouvoir vivre de la musique. J'avais l'impression que ce n'était pas possible. Et tout d'un coup, j'ai regardé ma vie, je me suis dit « Je passe plusieurs fois par semaine à faire de l'instrument, j'aime ça, je vais prendre des cours qui me font plaisir. » Et voilà, je me suis dit « Mais pourquoi pas oser essayer ? » Et puis bon, on verra. Et en fait, ça m'a bien réussie parce que j'ai pu faire un diplôme pour enseigner au Conservatoire et je fais aussi beaucoup de concerts. Donc voilà, je regrette pas, mais c'est vrai que c'est un choix qui est pas facile, je pense, en plus de nos jours, avec tout ce qui se passe, avec tout ce qu'on a eu aussi avec le Covid. Je sais qu'il y a beaucoup de jeunes musiciens qui ont renoncé à leur carrière récemment.
Jeanne Gollut 00:17:20.870
C'est un métier qui est très volatile. Parfois, on est submergés de dates. On ne sait plus comment trouver le temps pour répéter pour tous les concerts. Et puis parfois, il y a des vides. Donc financièrement, ce n'est pas facile, mais aussi pour le moral, parce qu'il faut continuer à travailler. C'est un travail vraiment de tous les jours. L'instrument ne peut pas se dire « J'ai pas de concert pendant un mois, alors je ne vais pas travailler pendant un mois » Ce n'est pas possible, on ne garde pas notre niveau. Donc voilà, il faut trouver la ressource, il faut trouver la motivation. Et à l'inverse, quand on a beaucoup de dates, il faut garder la fraîcheur. Donc voilà, c'est un métier qui est énormément plaisant au niveau des contacts humains, au niveau de l'apport personnel, mais qui demande aussi une discipline et une confiance en soi qu'il faut maintenir quoi qu'il arrive.
Laurent Mäusli 00:18:11.860
Donc, en permanence maintenir cet équilibre pour être bien, tout simplement.
Jeanne Gollut 00:18:18.930
Oui, c'est ça, parce que l'instrument, c'est un sport un peu. Il faut le garder l'entraînement. C'est comme un sportif qui doit travailler ses muscles, même s'il n'a pas de match. Et nous, c'est pareil. Si on veut avoir du plaisir et se sentir bien en jouant, on ne peut pas reprendre l'instrument à froid comme ça. Donc, il faut trouver cet équilibre qui nous permet d'être confortables et de pouvoir se libérer des contraintes techniques pour apporter la musicalité, apporter notre touche.
Laurent Mäusli 00:18:50.640
Et par rapport à l'enseignement, est ce que c'est quelque chose... Très tôt, tu t'es dit que tu allais faire ça en parallèle ?
Jeanne Gollut 00:18:56.960
J'ai commencé à enseigner assez tôt parce qu'en fait, il y avait quelques propositions, j'avais quelques demandes de personnes qui voulaient apprendre la flûte de pan. J'ai commencé à enseigner, je crois que j'avais 17 ans, quelque chose comme ça. Je n'avais pas de papier, donc j'ai quelques élèves en privé et puis j'aimais bien ça. J'ai toujours considéré que ça fait partie du métier. Faire uniquement des concerts, c'est très contraignant, c'est lourd. C'est justement, comme j'ai expliqué aussi, instable. Parfois, il y en a beaucoup, parfois il y en a peu. Et puis, les élèves, ça nous fait aussi côtoyer d'autres personnes. Ça nous fait réfléchir sur notre pratique, parce que chaque élève est différent et chaque élève aura besoin d'autres conseils. Et moi, je me suis souvent amenée à me dire « Mais comment je fais pour obtenir ce son là ? » Parce que quand il faut l'expliquer, il faut tout d'un coup vraiment le conscientiser. Et puis, il faut se poser des questions sur sa pratique. Et c'est intéressant, je trouve. Et ça me fait progresser.
Laurent Mäusli 00:19:55.300
En fait, c'est un gros travail pour essayer de transmettre un feeling, quelque chose qui est un petit peu vague.
Jeanne Gollut 00:20:01.870
Oui, exactement. Et puis, on peut pas non plus, face à un musicien qui apprend, on peut pas lui donner 15'000 conseils d'un coup. Il faut vraiment choisir. Moi, je les vois en général toutes les semaines, mes élèves, et je me dis tout le temps « On va axer sur une chose, et puis quand elle sera acquise et quand elle sera plus facile pour l'élève, on pourra passer à autre chose. » Parce que des fois, on a envie de tout dire, mais c'est pas possible. C'est trop d'informations à la fois. C'est quelque chose que je fais aussi pour moi. Je peux pas, dans un morceau, commencer à tout faire d'un coup. Le tempo, les articulations, les respirations Alors bien sûr, quand on est professionnel, ça vient très vite, mais il faut prendre les choses petit à petit et on peut pas tout amener d'un bloc. Il faut accepter des fois de jouer quelques jours, peut être plus lentement, mais pour jouer proprement, puis pour se poser les bonnes questions. Parce que si on va tout de suite très, très vite dans un morceau, on va louper plein de détails. Donc, c'est un travail que je fais aussi pour moi.
Laurent Mäusli 00:21:06.430
Justement, à quoi ressemble une préparation pour un concert ? Est ce que tu travailles des petites parties, des morceaux ou un ensemble ou c'est un petit peu des deux ?
Jeanne Gollut 00:21:15.820
Ouh... vaste cette question ! C'est un travail de longue haleine, déjà. Parce que, par exemple, quand on prépare un concert, on va plusieurs mois à l'avance choisir, en général, l'autre programme, parce qu'on doit le donner aux organisateurs. Donc, déjà, il faut se projeter. Et puis après, ça dépendra des pièces. Certaines pièces, je sais que j'aurai besoin de beaucoup de temps pour les travailler, d'autres un peu moins. Donc, il faut déjà échelonner un petit peu le travail. Oui, clairement, il ne faut pas se dire « Je joue tout mon programme et puis c'est bon. » Il vaut mieux cibler, je pense, en fonction des jours, on va travailler peut être quelques morceaux et puis le lendemain, quelques autres. Et puis, encore dans ces morceaux, on va travailler plutôt quelques passages précis. Puis dans les passages précis, on va travailler quelques notes précises. Donc c'est vraiment à plusieurs échelles. Et puis, sur la fin, il faut bien sûr entrainer aussi que les morceaux passent d'un bout à l'autre. Il y a un moment où il faut lâcher, il faut se dire « Bon, maintenant, j'ai bien travaillé et il faut que je vive le morceau comme un tout ».
Jeanne Gollut 00:22:23.510
Donc, il y a vraiment plusieurs étapes et je pense que chacun est différent là dedans. Le musicien doit bien se connaître pour pouvoir être prêt le jour J. Ça ne sert à rien d'être prêt deux mois avant et après de s'ennuyer quand on joue les pièces. Mais ça ne sert à rien non plus d'avoir trop de stress parce qu'on s'est mal préparé et puis d'être pas très sûr de pouvoir maintenir le niveau tout au long du concert. Moi, j'essaie toujours de me dire « Je vais être prête une semaine avant, vraiment parfaitement prête. Comme ça, j'ai encore une semaine pour me faire plaisir à jouer les pièces sans stress, mais sans m'ennuyer non plus.
Laurent Mäusli 00:23:01.840
Garder un peu de fraîcheur.
Jeanne Gollut 00:23:03.070
Exactement, parce que quand on a trop joué les choses, on peut aussi se déconcentrer après sur le moment du concert.
Laurent Mäusli 00:23:22.660
Ensuite, ce qui me fascine, c'est ton état d'esprit pendant les concerts. Qu'est ce qui se passe dans ta tête ? Est ce que tu parles de la notion de plaisir quand tu joues, mais est ce que tu as le temps de prendre plaisir ou est ce que c'est une concentration de tous les instants dans un concert ?
Jeanne Gollut 00:23:41.140
C'est difficile de trouver l'équilibre, justement, c'est vrai, parce qu' il faut vraiment arriver à lâcher prise totalement, à ne pas être submergée par son tract. Vraiment trouver une détente pour pouvoir savourer aussi le concert. C'est comme ça qu'on jouera bien, c'est on savoure son moment, mais en même temps, il faut garder une grande concentration. Par exemple, pour le niveau technique ou savoir où on en est dans le morceau, il faut vraiment pas lâcher le moment présent. C'est ça, mais sans se laisser submerger par le trac ou par du stress. C'est un équilibre qui est pas facile, qui dépend aussi beaucoup de notre état d'esprit, de notre fatigue, de la condition du concert, du lieu, parce que parfois, il y a des lieux qui sont agréables à jouer. Des églises, par exemple, ça sonne bien, c'est facile, il y a un peu d'écho. Une petite salle ou un petit salon sera peut être plus exigeant avec des gens tout près de nous. Ça sera plus impressionnant. C'est pour ça que je disais, il faut aussi dans la préparation faire bien attention, être prêt au bon moment pour avoir confiance et après être bien reposé. C'est une discipline.
Jeanne Gollut 00:24:57.340
Je parlais du sport tout à l'heure. C'est vrai que le soir, avant un concert, je vais pas aller faire la fête parce que je vais pas être bien reposée. Je vais peut être pas être en bonne disposition le moment même. Et c'est vrai que peut être que je sais pas, un peintre pourra se dire « Aujourd'hui, je suis pas en forme, je continuerai ma peinture demain. » Nous, si on a un concert à tel jour, à telle heure, il faut l'assumer à ce moment là, on n'a pas le choix. C'est vrai que ça, c'est un côté qui peut être difficile à gérer peut être pour certains. Moi, ça me fait plaisir et j'essaye de bien me préparer aussi sur les dernières minutes. J'essaie d'avoir des petites habitudes, de me dire « À une demi heure avant, je veux me changer et un quart d'heure avant, je veux plus parler à personne pour pouvoir être dans mon monde. Mais c'est vrai que ce n'est pas toujours possible parce que tout d'un coup, quelques minutes avant l'entrée en scène, quelqu'un vient nous demander « Est ce que je peux vous annoncer comme ci ou comme ça ?
Jeanne Gollut 00:25:55.980
Il y a des questions qui arrivent et il faut les gérer aussi.
Jeanne Gollut 00:26:01.160
Mais il faut être aussi en forme soi même pour jouer. Après, je pense que ça vient beaucoup avec le métier.
Laurent Mäusli 00:26:07.560
Mais ça reste une performance où tu dois te préparer, te mettre dans le bon état d'esprit juste avant.
Jeanne Gollut 00:26:13.920
Oui.
Laurent Mäusli 00:26:15.160
Tu en as parlé, c'est presque des rituels, finalement. Tu as tes habitudes, j'imagine.
Jeanne Gollut 00:26:19.750
Oui, voilà. Il faut se libérer l'esprit. Le fait d'avoir des petits rituels, ce n'est pas vraiment des rituels, mais de s'être dit « À ce moment là, je fais ça. » et puis de s'être projeté un petit peu, ça permet aussi d'avoir la tête libre sur le moment même, de ne pas se poser 1000 questions. Par exemple, « Est ce que j'ai mis mes partitions dans l'ordre ? Non, je sais qu'à la fin de la répétition, je mets mes partitions dans l'ordre, je sais que c'est fait, je passe à autre chose. Parce que sinon, ça peut vite nous submerger l'esprit. Et puis on arrive sur scène et on ne se sent pas prêt à commencer le morceau.
Laurent Mäusli 00:26:55.830
Et quand tu joues, est ce que tu as le temps de sentir l'ambiance ? Est ce que tu vois le public ou est ce que tu les vois sans les voir finalement ?
Jeanne Gollut 00:27:04.490
Ça, ça évolue gentiment. Je pense que de plus en plus aussi, avec l'habitude, j'aime regarder le public. J'aime vraiment avoir ce contact. Je n'avais pas peut être un peu plus d'appréhension dans mes premières années de concert. Je regardais peut être moins les gens. Mais là, vraiment, le fait de regarder les gens et de m'imprégner de l'ambiance de la salle, ça m'aide à bien jouer. Ça m'aide à avoir envie de leur donner le maximum et de faire un beau concert pour eux, pour moi, pour mes collègues. Vraiment. Et c'est un atout d'avoir des gens. Mais c'est vrai que comme j'expliquais avant, il faut pas se laisser déconcentrer par quelqu'un qui peut être va bouger son pied. Il faut pas se dire « Oh là là, il a l'air de s'ennuyer. » Il faut rester concentré. Et des fois, il y a des petites contraintes, les gens se rendent pas compte. On a peut être la lumière dans les yeux, on a un courant froid qui nous arrive dans le dos, on a un bruit qu'on a entendu. Voilà, plein de petits détails. Il faut pas s'y accrocher, il faut continuer. Tout pour garder le plaisir. Parce que je pense que si le musicien garde le plaisir de jouer, le concert sera beau et le public le sent et le concert devient beau aussi.
Jeanne Gollut 00:28:22.440
Parce que plus le public le sent, plus il renvoie cette énergie et le musicien s'en nourrit pour donner encore plus. Donc voilà, c'est du positif.
Laurent Mäusli 00:28:33.410
C'est un vrai échange, en fait, entre les deux parties.
Jeanne Gollut 00:28:37.240
Oui, tout à fait. C'est vrai que j'aime pas tellement jouer dans des salles qui sont très grandes où le public est très loin. Je me sens bien pour jouer, mais c'est compliqué de ressentir le public. Et parfois, il faut vraiment se concentrer encore plus pour donner, en fait. Parce qu'on n'a pas ce retour direct.
Laurent Mäusli 00:29:00.030
C'est drôle parce que je t'avais vu une fois dans une petite salle à la bibliothèque à Vevey, qui n'était pas forcément adaptée. Mais je me suis dit « Tiens, c'est une petite salle, peut être que c'est plus intéressant, mais tu m'as parlé aussi de l'acoustique. Finalement, ça ne résonnait pas assez. Ça veut dire que tu dois plus pousser ton instrument pour qu'il sonne bien ?
Jeanne Gollut 00:29:18.300
Oui, alors la petite salle, elle est agréable pour l'intimité. Après, c'est vrai qu'au niveau acoustique, c'est assez exigeant, parce que pour la flûte, par exemple, je n'ai pas de résonance naturelle. Quand j'arrête de souffler, le son s'arrête. Donc, si je veux donner un effet un petit peu qui dure, je dois le faire. Tandis que dans une grande église, le son va continuer avec l'écho et je peux m'arrêter de souffler et reprendre mon souffle tranquillement. Voilà, dans une petite salle, je vais le soutenir. Donc, c'est plus exigeant, mais ça a aussi un côté que je maîtrise aussi plus, c'est vrai. Finalement, dans une grande église, parfois, l'écho est si long qu'il nous dessert peut être dans des mouvements rapides ou dans des effets qu'on voudrait obtenir, alors que dans une petite salle, vraiment, on crée tout. Je pense que pour le public, c'est aussi très agréable d'être tout près de nous et vraiment de voir, de nous voir jouer, de voir les lèvres qui se déplacent sur la flûte et de se sentir presque sur scène. Et.
Laurent Mäusli 00:30:40.240
Pour toi, quels sont les moments de grâce ? Durant un concert, est ce que tu arrives à décrire, est ce que c'est très court, c'est très bref ou de l'impression que tout se met en place ?
Jeanne Gollut 00:30:51.510
J'en ai tout plein. Les moments de grâce, c'est vraiment pendant les pièces, pendant les morceaux, leur source que ça me plaît à moi même. Je me dis « Waouh, là, c'est beau ce qu'on est en train de faire. » Et c'est vraiment ça les beaux moments. Bien sûr, quand le public nous applaudit ou les remerciements après, c'est très touchant, mais je le sens, quand le morceau se déroule bien, que tout le monde est dedans, qu'on a un bon tempo et qu'on arrive à donner tout ce qu'on veut. Là, c'est vraiment les meilleurs moments et parfois, on oublie même où on est. C'est vrai, j'ai ce moment, j'ai l'impression de m'envoler et j'oublie qu'il y a du public, j'oublie que je suis en concert, mais je suis concentrée sur le morceau et ça, il faut le garder parce que si on oublie vraiment tout, on risque d'oublier tout d'un coup une partie ou de faire une fausse note. Donc il y a quand même cette petite concentration qui reste au fond, mais qui se libère avec le plaisir.
Laurent Mäusli 00:31:52.700
Ce que j'ai toujours apprécié avec tes concerts, c'est aussi après, c'est ta disponibilité d'être là, d'être présente pour répondre aux questions du public. Est ce que tu l'as toujours fait ? Est ce que c'est venu plus tard ? Est ce que c'était difficile de... ? Après un concert où t'es à fond dans le concert, puis ça retombe un petit peu, puis de te retrouver face au public à devoir échanger.
Jeanne Gollut 00:32:15.400
Alors j'aime beaucoup ces moments. Et je trouve qu'ils apportent énormément. C'est important d'être disponible pour les gens parce qu' on va pas juste leur jouer notre musique et puis après partir. Je ne sais pas, moi, je vois pas ça comme ça et j'aime bien après, justement, ces échanges. Moi, il m'apporte beaucoup aussi parce que parfois, les gens veulent voir comment je joue, voir de tout près. Et puis, c'est chouette de voir aussi comment les gens ont ressenti le moment et d'entendre ce qu'ils ont vécu. Après, c'est vrai que c'est pas facile parce qu' on sort d'un concert, il y a une adrénaline énorme qui était là. Moi, j'ai l'impression des fois d'atterrir d'un voyage extraordinaire. Et puis, il faut retrouver les codes sociaux, il faut parler, il faut discuter parfois aussi de tout et de rien. Les gens nous racontent leur vie et on atterrit un peu difficilement dans ces cas là. Mais voilà, moi, je trouve que c'est très important et j'y mets du cœur et ça fait vraiment partie du concert. Et c'est vrai que dans les rares cas où, par exemple, après, on sort de scène et puis qu'on reste en coulisses parce que je ne sais pas, c'est le lieu qui veut ça ou il y a des organisateurs qui veulent nous parler et puis on loupe un peu le public, ça me manque.
Jeanne Gollut 00:33:34.630
J'ai l'impression d'avoir manqué la fin du concert.
Laurent Mäusli 00:33:38.300
Est ce que tu ressens toujours le stress avant le concert ?
Jeanne Gollut 00:33:42.310
Oui, un petit stress. Ça dépendra des concerts, mais il y a toujours un petit moment d'adrénaline. Après, ça dépendra aussi des pièces que je vais jouer, parce que s'il y a des morceaux qui sont plus difficiles que d'autres, ça peut avoir une influence. Mais je pense que le petit stress, il est assez utile parce qu'il permet de se concentrer. Parce que rester concentré pendant une heure, une heure et demie de concert, c'est exigeant. C'est ce petit tract peut être qui permet ça.
Laurent Mäusli 00:34:17.380
Ok. J'aimerais également parler de ton avenir, de l'avenir de la Flûte de Pan. Tu l'as dit, il y a déjà plusieurs compositeurs qui ont composé pour toi et puis pour la Flûte de Pan. Où est ce que tu aimerais amener ton instrument ? Est ce que tu as certaines ambitions, certaines attentes par rapport à ça ?
00:34:34.270 Jeanne Gollut
Oui, alors je pense que j'ai déjà fait un joli parcours, justement, avec différents musiciens avec qui je me suis associée, en faisant par exemple des enregistrements, des CD. J'ai aussi, justement, comme tu le dis, des compositeurs qui ont écrit pour l'instrument. Donc ça, c'est vraiment important parce que ça donne de la crédibilité à l'instrument d'avoir son propre répertoire. Et puis, c'est vrai que j'ai joué avec beaucoup de musiciens différents, donc je pense que j'ai permis à la flûte de panne de se faire mieux connaître. J'essaye aussi de montrer qu'elle est capable de tout, autant dans le classique que dans la musique populaire, un peu de jazz, musique contemporaine. Il y a beaucoup à faire aussi dans la musique contemporaine. Et puis, c'est vrai que j'ai assez envie de collaborer avec peut être des ensembles un peu plus élargis, des orchestres ou dans des projets multidisciplinaires peut être avec des peintres, des danseurs, un petit peu varier les domaines artistiques pour aussi explorer diverses facettes. Et puis, par exemple, la fête des vignerons dont on a parlé au début, c'était une de ces étapes, je trouve, qui est importante et on s'associe avec des gens dont on n'a pas l'habitude et puis pour faire connaître cet instrument.
Laurent Mäusli 00:35:57.500
Parce que ça reste un instrument méconnu. Quels sont finalement les préjugés contre lesquels tu aimerais lutter ?
Jeanne Gollut 00:36:05.720
Oui, tout à fait. C'est un instrument, les gens... Parfois, les gens me disent « J'aime pas du tout la flûte de pan. » Et par exemple, le plus beau compliment, c'était « Je suis venue à votre concert parce que ma voisine m'a emmenée, mais moi, j'aime pas la flûte de pan, mais alors vraiment, c'était magnifique, j'ai adoré ». Là, je me dis « C'est bon, j'ai fait le job. La personne a changé d'avis et c'est vraiment super et c'est vrai que la flûte, elle a quelques clichés, peut être un peu du côté kitsch ou du côté voilà. Ou alors les gens pensent que c'est un instrument uniquement folklorique et ils sont très surpris de voir qu'on peut jouer de tout. Et je remercie aussi beaucoup mes professeurs parce que c'est grâce à eux que j'ai acquis une musicalité, je pense, qui fait que j'ai pu jouer d'une manière qui touche les gens et explorer vraiment toutes les possibilités expressives de l'instrument. Voilà, les tympres, les différentes façons d'articuler les phrases, de respirer et de faire chanter cette flûte, finalement.
Laurent Mäusli 00:37:11.430
Comment tu définirais la musicalité ? Parce que je pense que c'est a bstrait pour moi. Est-ce que c'est un peu...
Jeanne Gollut 00:37:20.900
La musicalité, c'est compliqué, mais c'est la...
Laurent Mäusli 00:37:24.230
C'est des couleurs, finalement, comme pour un peintre ?
Jeanne Gollut 00:37:26.910
Oui. Justement, il y a beaucoup, beaucoup d'échelons. Il y a le timbre, donc la sonorité. Il y a les couleurs, effectivement, peut être la chaleur du son. Il y a la façon d'articuler, comme quand on parle, on peut articuler plus ou moins quelque chose. Et puis après, il y a la musicalité par rapport surtout à ce que a voulu le compositeur. C'est comme un texte, en fait. Si on lit bêtement une histoire sans y mettre de ton, elle ne va pas être belle. Et si on sait bien imprégner de l'histoire, qu'on la connaît par cœur et qu'on y met du temps et qu'on fait des pauses et qu'on respire aux bons endroits et que la voix a une belle intonation, ça va changer le texte complètement. Et je pense que la musicalité, pour résumer, c'est d'avoir compris ce que a voulu le compositeur et en plus, d'y amener ma touche personnelle. Sans oublier le discours d'origine, mais en y apportant quelque chose de particulier et de personnel. Et c'est ça qui demande beaucoup de travail, de réflexion et aussi beaucoup de connaissances. Parce que si on n'a pas exploré beaucoup de styles de musique, on va avoir qu'une sorte de musique de qualité.
Jeanne Gollut 00:38:45.580
On va avoir tout le temps la même dans tous les genres de morceaux. On va mettre les mêmes effets, on va jouer de la même manière. Tandis que si on a beaucoup travaillé de styles différents, on va explorer. C'est un peu comme des langues ou des accents, finalement, et on va pouvoir mettre le bon accent au bon moment.
Laurent Mäusli 00:39:01.920
Parce que tu l'as dit, il y a peu de partitions pour la flûte, donc tout est ouvert, finalement.
Jeanne Gollut 00:39:08.680
Oui, ça, c'est aussi chouette. C'est que le répertoire étant inexistant, on va piocher à gauch e, à droite, dans les partitions pour les autres instruments et on regarde qu'est ce qui peut bien convenir à l'instrument. Par exemple, les partitions pour chant, ça va très, très bien parce que le chant, c'est vraiment très proche du souffle, comme la flûte de pan, parce que c'est un instrument qui a très peu de mécanique. Donc vraiment, le souffle est assez direct. Les partitions pour flûte traversière, comme j'ai dit avant, parfois elles sont un petit peu trop virtuoses parce que bien sûr, à la flûte traversière, on a les dix doigts pour faire des notes très rapidement. À la flûte de pan, on a une bouche, donc il faut se déplacer sur l'instrument. Les partitions pour violons aussi sont très souvent adaptables, même la trompette, finalement. Tout est possible. Le violoncelle aussi sonne très bien, assez proche de l'essence. Je pense que le chant de la flûte de pan et du violoncelle sont assez proches. Et.
Laurent Mäusli 00:40:31.180
Plus généralement, est ce que tu as l'impression d'être au bon endroit, que ce soit professionnellement, aussi dans ta vie privée, est ce que tu as l'impression que toutes les pièces se mettent en place ?
Jeanne Gollut 00:40:43.700
Je pense c'est une grande question existentielle pour tout un chacun. Mais oui, globalement, je me sens bien. J'aime énormément ce que je fais. Ça m'apporte un équilibre très riche et je ne changerai pas pour rien au monde. Après, c'est vrai que parfois, il y a des jours où je trouve que le métier de musicien est assez exigeant parce qu'on n'a pas tellement de repos. Il faut garder le niveau. Il faut, comme j'ai dit avant, jouer même si on n'est pas en super forme, si le concert est prévu, il faut le faire. Donc voilà, ça a aussi quelques contraintes. Mais je pense que je me plairais pas du tout dans un métier « classique », sans petite adrénaline comme ça, sans surprise, et que je m'ennuierais vite. Et ce côté qui parfois me pèse de ne pas savoir où je vais quand je débarque dans une salle de concert que je connais pas, un petit peu anxiogène. D'un autre côté, il me nourrit beaucoup et ça garde la flamme. Donc non, je ne changerai rien.
Laurent Mäusli 00:41:52.330
Comme souvent, on a besoin de ces moments un petit peu plus sombres pour apprécier les meilleurs moments.
Jeanne Gollut 00:41:58.640
Oui, parce que si tout était facile et accessible, c'est vrai que ça aurait moins de charme. Donc tout à fait, c'est vrai que ces moments un petit peu difficiles nous aident à apprécier d'autant plus notre réussite. Et c'est vrai que c'est un énorme travail d'être musicien sur sa personne, son mental et le côté physique, le côté technique. C'est un travail, durant les études, déjà de longue haleine. Et puis après, pour concilier sa vie de famille, sa vie en général et d'être en forme pour le public et pour soi même, pour sa musique. C'est une hygiène de vie assez exigeante, mais qui m'apporte énormément et qui me nourrit beaucoup. Et je crois que j'ai vraiment beaucoup de chance de pouvoir vivre de ma passion. Je regrette pas du tout mon choix et au contraire, j'ai envie de continuer et de le développer encore plus.
Laurent Mäusli 00:42:55.240
Comment fais tu pour déconnecter quand tu as des jours de congé ? Ou est ce que tu es toujours Il y a toujours la musique quelque part dans un coin de ta tête ?
Jeanne Gollut 00:43:05.220
Oui, la musique est toujours dans un coin de ma tête, mais j'arrive quand même à déconnecter. Je profite, je fais beaucoup d'autres activités aussi avec la famille. Mais c'est vrai qu'en fait, j'ai jamais l'esprit complètement libre, parce qu'il y a toujours une date ou une échéance qui arrive et puis il faudra être en forme. J'ai toujours ce petit côté sérieux qui me fait qui me ramène à la maison en me disant « Ce soir, on va se coucher tôt parce qu'il faut être en forme tel jour ou il faudra être d'attaque. » Mais je pense que c'est aussi une hygiène de vie. Et puis c'est bien parce que chaque jour, il y a une autre échéance en tête et ça m'aide un petit peu à structurer mes activités.
Laurent Mäusli 00:43:51.730
Je pense que c'est un thème récurrent parmi les artistes, d'avoir un cadre qu'on a... Il y a beaucoup d'artistes qui ont besoin d'avoir des limites pour pouvoir évoluer. Je ne sais pas comment tu le ressens.
Jeanne Gollut 00:44:07.010
Oui, les limites, je pense qu'en musique, on les trouve aussi un peu plus facilement, peut être, parce que souvent, on est obligé de travailler avec d'autres. Il y a une répétition qui dure de 14 à 16 heures et puis après, c'est fini. Il faut avoir fait ce qu'il faut dans ce temps là. On joue aussi des partitions qui sont écrites ou alors on improvise, mais il y a toujours un cadre, donc on ne peut pas se perdre pendant trois heures dans un morceau et ne plus savoir où s'arrêter. Après, c'est vrai qu'il faut aussi savoir se dire « Maintenant, j'ai assez travaillé, c'est bon, je suis en forme, je suis prêt ». Et puis arrêter, on ne va pas jouer toute la nuit le soir avant un concert. Et il faut se faire confiance et savoir que ça va bien se passer, qu'on pourra prendre du plaisir et lâcher prise.
Laurent Mäusli 00:44:58.560
Avant de conclure, j'aimerais te laisser un espace pour parler de tes projets futurs. Tu as bientôt un album qui va sortir ?
Jeanne Gollut 00:45:06.080
Oui, exactement. On a enregistré un nouveau CD avec Céline Gay des Combes, qui est harpiste, qui est ma collègue depuis longtemps déjà. Ça fait maintenant, je crois, cinq ou six ans qu'on joue ensemble. Et ce premier disque de duo est une jolie étape pour nous. On y a enregistré les pièces qu'on aime beaucoup interpréter sur scène. Notre duo, c'est le Delta Duo Donc il y a ce CD qui va sortir. J'en ai déjà enregistré quelques uns avant celui là que j'aime beaucoup aussi avec guitare, avec mon trio, Tangora Trio aussi. Et c'est toujours une expérience géniale d'enregistrer un disque et de le sortir. Sinon, beaucoup de concerts qui approchent. J'ai un site Internet où les gens peuvent aller voir les dates si ça les intéresse. Et puis, il y a quelques projets de vidéos aussi, parce que c'est toujours assez motivant d'enregistrer une pièce, de la filmer, d'avoir quelque chose de visuel également. Et puis, quelques projets de composition. Comme on a parlé tout à l'heure, des compositeurs qui écrivent pour moi, il y a d'autres pièces qui vont sortir. Il faudra rester informé peut être via mon site, de tout ça.
Laurent Mäusli 00:46:23.270
Ok, donc tout se trouve sur ton site, jeannegollut.ch, tout en un mot.
Jeanne Gollut 00:46:28.600
Oui.
Laurent Mäusli 00:46:29.590
Et donc, tu l'as dit, on peut également acheter tes différents disques. Et puis, tu es aussi sur YouTube ?
Jeanne Gollut 00:46:35.360
Oui, quelques vidéos aussi. J'ai une chaîne YouTube avec des vidéos. On est obligé maintenant de se faire connaître comme ça. C'est bien, je trouve. Ça dynamise aussi, ça nous donne envie de partager. Et puis parfois, j'ai des retours du monde entier, des gens de très loin qui m'écrivent des petits messages, qui me disent qu'ils adorent La flûte de Pan ou qu'ils en jouent. C'est sympa. C'est aussi des échanges inattendus.
Laurent Mäusli 00:47:03.400
Pour conclure, j'ai simplement envie de te remercier pour beaucoup de choses. D'abord pour cette interview, mais aussi pour tous les concerts, parce que les concerts, je trouve que c'est magique. C'est vraiment cette bulle musicale où on est simplement là dans l'instant, on apprécie la musique et on fait rien d'autre. Et de nos jours, c'est tellement rare. On est toujours en train de faire autre chose ou bien de penser à autre chose, alors que les concerts, c'est du live, c'est du direct. On est là, on est présents à fond et puis c'est vraiment une jolie parenthèse musicale. Donc merci pour tout ce que tu fais.
Jeanne Gollut 00:47:40.030
Merci beaucoup.
Laurent Mäusli 00:47:41.330
Et puis on se réjouit de découvrir tes nouveaux projets.
Jeanne Gollut 00:47:43.840
Oui, merci et à bientôt.
Laurent Mäusli 00:47:54.620
C'est à nouveau moi. Et pour tout dire, j'étais un peu intimidé par Jeanne. Elle était pleinement investie dans l'interview, avec ce mélange de douceur et d'intensité qui lui vient de sa profession. Elle a une telle discipline dans sa pratique de la musique, mais en même temps, elle reste humaine et proche du public. Malgré sa grande concentration durant ses concerts, j'ai toujours senti son plaisir de jouer et d'être sur scène. Et je trouve touchant de voir une artiste épanouie. Merci de nous avoir écouté. Cet épisode a été réalisé et produit par Puissant Bazar, donc par moi, Laurent. Ma liste d'invités est pour l'instant un peu courte. Alors, si tu as en tête quelques noms d'artistes que je pourrais inviter ou si toi même, tu aimerais participer à l'émission, alors envoie moi un message à laurent@puissantbazar.ch. Je reviens dans un mois avec un nouvel invité. D'ici là, prends soin de toi et à tout bientôt.
Laurent Mäusli 00:49:23.650
Avant de conclure, je voudrais te laisser un espace pour parler de ton actualité.
Jeanne Gollut 00:49:31.380
Oui, c'est sympa.
Laurent Mäusli 00:49:32.580
Je reprends.
Jeanne Gollut 00:49:36.600
Oui, oui, pas de souci.
Laurent Mäusli 00:49:38.270
Je vais changer.